vendredi 10 janvier 2020

Mort et résurrection de Jésus dans l'évangile des ébionites

Les Pères de l'Église mentionnent trois évangiles dit hébreux: évangile des hébreux, évangile des nazaréens et évangile des ébionites. Comme, en général, les Pères qui mentionnent l'évangile des hébreux ne mentionnent pas l'évangile des ébionites; on en a déduit qu'il s'agissait d'un seul évangile. Et comme les rares fragments sont des fragments pris à divers endroits de ces évangiles il n'est pas possible de conclure s'il s'agit d'un même texte ou de textes différents. 
Certains rapprochent sa structure de Matthieu d'autres de Luc; d'autres pensent enfin qu'il s'agirait plutôt d'une harmonie évangélique similaire aux Mémoires des Apôtres qui était en possession de Justin, puisque l'évangile des ébionites est parfois appelé l'Évangile des Douze.
Cet évangile a survécu à travers une bonne dizaine de citations, de notices et de résumés de péricopes particulières. On sait en tout cas, que cet évangile affirmait que Jésus était un messie, et que l'Esprit Saint était le Messie. Jésus y était fils de Joseph, il ne devint donc habité par l'Esprit Saint qu'au moment de son baptême. Pour résumer, disons que la nature divine de Jésus qui coexiste avec sa nature humaine depuis sa conception, n'est plus innée mais acquise. La messianité est, pour les ébionites, simplement l'homme qui est illuminé par l'Esprit-Saint. Dans leur conception, Jésus est un exemple, le plus parfait des hommes, mais seulement un exemple. Les ébionites en déduisent qu'il ne fait pas adorer ou prier Jésus, mais seulement pratiquer les commandements pour se rendre disponible à la venue de l'Esprit-Saint. Un messie est donc simplement quelqu'un à qui Dieu a donné accès au fruit de l'arbre de vie. Pour les ébionites, Jésus a goûté au fruit de vie, il n'a ni été le premier et il ne sera pas le dernier. Le christianisme dira que Dieu s'est fait homme en Jésus, pour que l'homme puisse se refaire Dieu; ils disent cela parce qu'il estiment impossible que l'homme puisse arriver par ses propres moyens à l'illumination... Pour les ébionites, mais ce que je dis est interprétatif, l'homme en faisant le mal se remplit de l'Esprit de mensonge; l'homme en faisant le bien se remplit de l'Esprit de vérité. La question de la liberté de Dieu est vraisemblablement pour les ébionites totalement hors sujet et de l'ordre de la pensée grecque.
L'évangile est avant tout une aggadah, un histoire pour nous faire comprendre les mystères divins. Les chrétiens ne le lisent néanmoins pas comme une aggadah, mais comme une œuvre historique, historiquement vraie. Ils disent avoir le sens spirituel de l'Ancien Testament, et ne connaissent même pas le sens spirituel de leurs propres textes; et même quand ils soupçonnent ce sens caché, le sens historique des évangiles reste seul valide. 
Je ne pense pas que l'Évangile des Ébionites soit l'évangile original déformé par les chrétiens. Les rares fragments et résumés que nous en avons en montrent toutefois l'intérêt. 
Depuis 2000 ans, il y a dispute sur la date de la mort de Jésus, pour les synoptiques, il a mangé la pâque, été arrêté, jugé, crucifié et est mort le 15 nissan (rappelons que pour les Juifs, un jour commence au coucher du soleil, le vendredi soir, pour les Juifs n'est pas la veille du shabbat, mais bien le shabbat); tandis que pour Jean, Jésus a été arrêté, jugé, crucifié et est mort le 14 nissan. L'Église affirme que c'est le 14 nissan; en effet, le 15 nissan est une convocation sainte, donc un shabbat, quelque soit le jour de la semaine, donc pas de sanhédrin ouvert le 15 nissan, ce qui est un peu ennuyeux pour l'histoire. L'Église se trompe néanmoins, parce que le 14 nissan, le sanhédrin est ouvert le jour, mais ne siège pas, il se déplace au Temple pour surveiller les cérémonies pascales qui se déroulent toute la journée; celles-ci à l'époque se terminaient par le sacrifice de l'agneau pascal, quatre à deux heures avant le coucher du soleil le 14 nissan. L'agneau était mangé lors du repas du soir le 15 nissan.
Pour l'Évangile des Ébionites, Jésus a bien été tué un 15 nissan, comme dans les synoptiques. On ignore tout de la manière dont ils décrivaient son procès. 
Jésus a mangé l'agneau le 15 nissan avant son arrestation. Quand il est ressuscité, il rendit le linceul au serviteur du prêtre, ce qui suppose que Joseph d'Arimathie était un cohen. Il sut alors que Jacques jeûnait depuis sa mort en attente de sa résurrection. Il vint auprès de Jacques et bénit et rompit le pain afin qu'il mange. (Il est vraisemblable que Jésus monte directement aux cieux après cette bénédiction).
La première partie du résumé provient d'Épiphane de Salamine qui résume/cite l'Évangile des Ébionites; la seconde partie vient de Saint Jérôme qui résume/cite l'Évangile des Hébreux.
Le sens de la narration est totalement symbolique et pas très compliquée à comprendre. Ce n'est pas de Jésus qu'il est question mais du Temple de Jérusalem. La destruction du Temple en 70 fut un événement dramatique pour les Juifs; on a vu l'émotion suscitée par la destruction de Notre Dame de Paris, pour avoir un ordre de grandeur avec le Temple de Jérusalem, il faudrait imaginer que Notre Dame de Paris serait la seule cathédrale du monde, que toute la vie des chrétiens serait basée sur le cycle de Notre Dame de Paris, et qu'en plus Jésus résiderait dans cette cathédrale de manière invisible. 

Jésus qui mange la pâque se réfère aux sacrifices d'animaux qui s'y produisaient; mais le Temple visible ayant été détruit, les sacrifices ont pris fin. On doit donc rechercher le Temple caché qui lui est indestructible et qui est représenté par Jésus ressuscité qui rend son linceul, et on accèdera au temple spirituel par l'eucharistie du pain et du vin, l'homme doit comprendre que les sacrifices ont pris fin. Il n'y a rien d'historique seulement de l'allégorie. Jésus est donc la personnification du Temple de Jérusalem!

Stephan Hoebeeck  





















mardi 7 janvier 2020

Je ne suis venu que pour les brebis égarées d'Israël — Réponse aux musulmans et aux chrétiens

Cette phrase est utilisée par les musulmans pour affirmer que la mission de Jésus fut essentiellement locale, et incidemment pour affirmer que la mission de Muhammad est universelle. 
Les chrétiens répondent à cela que Jésus, après sa résurrection, a envoyé Jésus faire des disciples dans le monde entier.

Cette phrase est à la fois simple et complexe et a donné lieu à des interprétations diverses, certains la comprenant comme Jésus qui demanderait à ses disciples de rechercher les tribus perdues d'Israël; et certains affirmant même que les non-Juifs qui entrent dans les mouvements types messianiques, ce serait parce qu'ils auraient un ancêtre juif oublié, et qu'ils rejoignent l'évangélisme messianique. Ces interprétations sont totalement erronée.

La phrase n'a été dite que deux fois par Jésus, et n'est transmise que par l'évangile de Matthieu en deux circonstances différentes.

Le passage de Matthieu est le suivant:
Jésus parcourait toutes les villes et les villages, enseignant dans les synagogues, prêchant la bonne nouvelle du royaume, et guérissant toute maladie et toute infirmité. Voyant la foule, il fut ému de compassion pour elle, parce qu'elle était languissante et abattue, comme des brebis qui n'ont point de berger.  Alors il dit à ses disciples: La moisson est grande, mais il y a peu d'ouvriers. Priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers dans sa moisson. Puis, ayant appelé ses douze disciples, il leur donna le pouvoir de chasser les esprits impurs, et de guérir toute maladie et toute infirmité. Voici les noms des douze apôtres. [...] Tels sont les douze que Jésus envoya, après leur avoir donné les instructions suivantes: N'allez pas vers les païens, et n'entrez pas dans les villes des Samaritains; allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël. Allez, prêchez, et dites: Le royaume des cieux est proche. etc. (Mt 9, 35–38 et 10, 1–7)
Le passage ne présente aucune difficulté, ce passage a été énoncé au moment où se constitue les premiers disciples; et c'est bien dans ce cadre spécifique qu'il faut comprendre le passage. Jésus envoie ses disciples recruter d'autres disciples; mais, les chrétiens l'oublient trop souvent, l'enseignement de Jésus suppose que tu as des bases de judaïsme, si tu ne sais pas les fêtes, les commandements, etc. il faut d'abord que tu apprennes cela, avant d'avoir les enseignements spécifiques de Jésus. Les païens n'ont évidemment aucune connaissance de la Torah. Jésus a simplement pris une décision pragmatique, pour l'instant, nous sommes peu nombreux, formons d'abord des fils d'Israël, et pour les autres on verra ensuite. En fait, il aurait été plus facile dans le découpage en chapitres de Matthieu, de rattacher 9, 35–38 au chapitre 10, certaines personnes croyant que le passage d'un chapitre à un autre marquerait une rupture. La division en chapitres n'a comme but que de faciliter les références. 

Le second passage se réfère à la guérison de la cananéenne (Mt. 15, 21–28); il existe une version qu'on peut lire encore chez Marc 7, 24–30 qui ne précise pas que c'est une cananéenne et qui ne mentionne pas les brebis égarées. 
Lors d'un voyage à Tyr, une femme demande à Jésus de guérir sa fille, Jésus la rejette disant qu'il n'est venu que pour les brebis perdues de la Maison d'Israël. Elle insiste et Jésus la rejette disant qu'il n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens; la femme répond à Jésus que les petits chiens peuvent manger les miettes qui tombent de la table. Alors Jésus lui dit que sa foi est grande, et sa fille est délivrée des démons qui l'oppressaient. 
Ce passage donne parfois lieu à des accusations de xénophobie contre Jésus. C'est mal comprendre le passage. Les théologiens chrétiens ont en général interprété le passage comme le refus de Jésus d'aller vers les païens de son vivant; ils estiment que c'est après sa résurrection qu'il envoie ses disciples.

D'abord, les Cananéens avaient disparu depuis 1000 ans au moment où la scène se déroule; elle n'est donc pas cananéenne. Deux mots hébreux peuvent se rapprocher phonétiquement de Cananéenne: kana° (כנע) qui signifie «s’humilier» et qana’ (קנא) qui signfie «jaloux» et qin’ah (קנאה), «jalousie, envie, zèle». La première idée est que cette femme est humble, ce qui est d'ailleurs le cas. La seconde idée, c'est de se référer au vocabulaire juif de l'époque qui n'est pas forcément celui qui sera retenu dans le Talmud. Dans le Talmud, un converti s'appelait un gèr, un étranger qui réside avec les Juifs, un prosélyte. À l'époque, on utilisait aussi pour désigner les convertis l'appellation de zélateur des coutumes juives (Antiquités 20, 47). La cananéenne n’est donc pas une cananéenne, ni non plus une humiliée, mais c'estc une convertie, une zélatrice des coutumes juives. Jésus ne la rejette pas comme on pourrait le croire, il la teste. En effet, à l’époque de Jésus, des hommes et des femmes se convertissaient, non par amour pour Dieu ni pour pratiquer avec exactitudes ses commandements, mais pour des avantages : les communautés étaient riches et puissantes, elles avaient de nombreux privilèges dont la dispense du culte impérial et un impôt moindre que celui des locaux; seuls les Grecs étaient mieux traités par les Romains. Socialement, le Juif était entre le citoyen romain de plein droit et le local, mais dans la réalité sa situation était bien plus proche de celle du citoyen romain que du local qu’il soit syrien, égyptien, mauritanien. Donc bien des gens voulaient devenir juif pour les avantages. Jésus test la femme, quand il comprend son humilité, elle devient pour lui une sœur et il guérit sa fille. Aucune xénophobie dans le passage, juste testé le converti pour voir sa sincérité.

Ce passage ennuie les chrétiens, parce que justement ils sont bien obligés d'admettre que s'il a converti des non-juifs, il les a convertis au judaïsme et pas au christianisme. Les chrétiens ne veulent pas se faire circoncire ni accomplir les commandements. Pourtant, Jésus a dit qu'il n'était pas venu abolir les commandements. 

Le concile de Jérusalem a pourtant été clair, Jacques frère de Jésus a dit (Actes 15, 19–20):
C'est pourquoi je suis d'avis qu'on ne crée pas des difficultés à ceux des païens qui se convertissent à Dieu, mais qu'on leur écrive de s'abstenir des souillures des idoles, de l'impudicité, des animaux étouffés et du sang.
Que veut dire cette phrase? Qu'il faut accepter tous les commandements de la Torah dont la circoncision, et tous les autres. Les chrétiens diront qu'ils ne lisent pas cela dans le texte; pourtant Jacques donne bien deux limites: la première est énoncée dans les versets précédents, il s'agit des païens d'Antioche, c'est-à-dire des non-Juifs qui vivent en dehors de la Judée. La seconde, c'est: ceux des païens qui se convertissent à Dieu. Or la plupart des chrétiens ne sont pas des païens à l'origine; ils sont des fils de chrétiens, eux-mêmes fils de chrétiens, etc... La parole de Jacques veut simplement dire que si pour des convertis de la première et de la seconde génération, la circoncision n'est pas obligatoire, mais qu'elle devra le devenir dans les générations suivantes, mais qu'entre temps ils doivent appliquer les lois noahides. Les lois noahides sont transmises aux non-juifs qui veulent se convertir et qui doivent être appliquée entre le moment où ils manifestent leur désir et où ils se convertissent complètement...

Les chrétiens n'ont pas compris Paul, un rabbin, si tu viens pour te convertir, va d'abord te dire non, pour tester ta motivation; quand il voit que tu es réellement motivé on te converti... Mais les chrétiens ont utilisé les paroles de Paul et les ont déformées pour justifier leur incirconcision... L'islam est une punition de Dieu pour notre refus de la circoncision et de la casheroute... Quant aux musulmans, en disant que la Torah et l'évangile sont falsifiés, ils sont comme les chrétiens, dans l'ignorance.

— Stephan Hoebeeck