Jésus est-il né un 25 décembre? Il y a une chance sur 365 pour que ce soit bon; c'est mieux que rien, mais c'est insuffisant.
Quelque soit l'année de naissance de Jésus, si Jésus avait connaissance de son jour de naissance, ce serait sur base d'années lunaires... Il aurait donc fallu au préalable, des années après sa naissance, voire après sa mort, transformer cette date lunaire en date solaire... Vu les erreurs nombreuses qui émaillent la plupart des conversions ancienne d'un calendrier en un autre, il est clair que même si sa famille avait conservé sa date de naissance selon le calendrier judéen, il n'y a toujours aucune garantie que cette conversion aurait été exacte. Cyrille d'Alexandrie prétend que cette date est assurée parce que l'annonce à Zacharie aurait été faite à Yôm Kippour; le seul problème, c'est qu'il n'est rien dans l'Évangile de Luc qui permettrait de supposer que c'est bien à Yom Kippour que cette annonce aurait eu lieu.
La naissance de Jésus est rapportée par Matthieu et par Luc; il faut le dire clairement, les deux textes sont avant tout des midrashim dont la portée n'est pas historique mais symbolique.
Chez Luc, la naissance de Jésus est mise en rapport avec le recensement de Quirinus qui eut lieu en 6; la symbolique n'est pas compliquée à comprendre en se référant à l'œuvre de Flavius Josèphe. En 6, Archélaos, l'un des fils d'Hérode, et tétrarque de Judée-Samarie-Idumée est déposé par Auguste car les plaintes s'accumulaient à son sujet et les diverses exactions auxquelles il se livrait déstabilisaient la Judée. À ces exactions, s'ajoutaient son mariage avec Glaphyra. Cette dernière était une princesse de Cappadoce qui avait épousé d'abord Alexandre l'hasmonéen. C'était aussi un fils d'Hérode, sommairement exécuté par son père en –7, parce qui le suspectait de préparer une révolte contre lui. L'empereur Auguste avait enjoint Hérode à le laisser vivre, mais Hérode ne l'a pas écouté, ce qui fit dire à Auguste, qu'«il valait mieux être le porc d'Hérode que le fils d'Hérode». Glaphyra est donc devenue veuve en –7. Elle se remarie avec Juba, un roi berbère de Mauritanie; mais s'en sépare quelques années plus tard pour épouser Archélaos. Peu de temps après son mariage, elle rêve de son premier mari Alexandre qui lui dit: qu'il lui pardonne son mariage avec Juba et avec son frère, car il va la reprendre bientôt comme épouse. Elle meurt trois jours plus tard. Cette indication est intéressante, parce qu'elle montre que les Juifs de cette époque croyaient qu'ils vivaient dans une sorte de paradis après la mort, dans lequel ceux qui avaient été mariés se retrouvaient après la mort. Cela pourrait expliquer la question des sadducéens à Jésus, qui demandent à propos d'une femme qui a épousé successivement plusieurs frères dont elle devint chaque fois veuve; avec lequel des frères, elle sera mariée dans le monde à venir? La question du mariage d'Antipas avec Hérodiade, la veuve de son frère Hérode Boethos, pourrait avoir poussé des radicaux comme Jean le baptiste, à pousser à la révolte pour condamner ce type de mariage. Il est donc très probable que le mariage d'Archélaos et de Glaphyra soit mal passé auprès des Juifs.
Concernant le sens du passage chez Luc, il est très simple, le passage de la domination indirecte de Rome sur les territoires d'Archélaos à une domination directe va impliquer un recensement de cette nouvelle province. Les Judéens prennent très mal ce recensement qui fait l'objet d'une condamnation biblique implicite, puisque le recensement de David est inspiré par Satan (I Chroniques 21, 1):
Satan, cherchant à nuire à Israël, incita David à en ordonner le dénombrement.
Cette décision d'Auguste leur montre bien qu'ils ne sont dorénavant les esclaves des Romains. Deux chefs juifs vont entrer en révolte, il s'agit de Judas de Gamla, fils d'un Ezéchias, exécuté par Hérode en –47, et de Saddoq. Pour autant qu'on sache, la Judée se révolte, toute la Judée, non un obscur galiléen, même pas concerné par le recensement, se rend pourtant à Bethléem, avec sa jeune épouse, alors qu'elle est sur le point d'accoucher, pour se faire recenser.
L'allégorie est transparente, alors que tous les Juifs se révoltent, la famille de Jésus obéit sans discuter aux ordres de l'empereur romain.
Chez Matthieu, la naissance de Jésus est antérieure à la mort d'Hérode qui eut lieu en –4; le contexte change mais il est tout aussi symbolique que chez Luc quoi que de manière très différente, puisque chez ce dernier, il n'est vanté que l'obéissance à Rome.
Joseph habite Bethléem avec sa jeune épouse sur le point d'accoucher. Tout semble normal, excepté qu'une étoile guide des mages vers Bethléem. Cette étoile a été mise en rapport avec toute sorte d'événements astronomiques, dont une conjonction jupiter-saturne, une super nova, la comète de Haley qui fut visible de la terre en –11. Toutes ces interprétations astronomiques bloquent néanmoins sur un détail, c'est qu'excepté les mages, personne ne voit cette étoile; elle est invisible, ce point sera élucidé plus bas.
Une autre perspective est de mettre l'étoile en rapport avec un passage des Nombres, dans lequel Balaam prophétise (24, 17):
Je le vois, mais ce n'est pas encore l'heure; je le distingue; mais il n'est pas proche: un astre (kôkav) s'élance de Jacob, et une comète surgit du sein d'Israël, qui écrasera les sommités de Moab et renversera tous les enfants de l'orgueil.
Ce passage permet aussi de comprendre le surnom de Bar Kôkhbâ, qui commanda la révolte de 132–135. Il s'appelait en effet Shiméon bar Kosèvâ, ce qui impliquerait peut-être qu'il aurait été originaire d'un village homonyme situé en Gaulanitide. Il était surnommé Bar Kôkhbâ, le fils de l'étoile, pour correspondre à la prophétie.
Jésus est donc mis en opposition à Bar Kôkhbâ, le faux messie qui se révolte contre les Romains et Jésus le vrai messie qui accepte les Romains.
Cette interprétation est néanmoins insuffisante et explique difficilement pourquoi l'étoile était vue des seuls mages. Ces derniers étaient tenus en haute estime par Philon d'Alexandrie. Il dit d'eux (De Probus 74):
Chez les Perses, c’est la classe des Mages qui scrutent les œuvres de la nature pour en apprendre la vérité et qui, en silence, au moyen de manifestations plus claires que la parole, reçoivent et transmettent la révélation des vertus divines.
Et ailleurs (Spec. legibus 3, 100)
la réputation auguste et flatteuse dont elle [la magie] jouit lui vaut d’être activement étudiée non seulement par des particuliers mais aussi par des rois, et encore par les plus grands des rois, notamment ceux de Perse, à telle enseigne qu’à ce qu’on dit, personne dans ce pays ne peut être élevé au trône s’il n’a fréquenté la grande famille des mages. Or donc, pour ce qui est de la magie véritable — j’entends par là un savoir visionnaire qui permet de discerner les effets de la nature au moyen de représentations plus nettes.
Il dit encore ailleurs (Spec. legibus 4, 191–192):
Les véritables serviteurs de Dieu affûtent soigneusement leur pensée et ne tiennent pas pour peu de chose un égarement qui a tenu à peu de chose : telle est, en tous domaines, la transcendance de Dieu qui est l’objet de leur culte ! Voilà précisément pourquoi tous les prêtres ont reçu l’ordre de sacrifier à jeun afin qu’aucune drogue génératrice de déraison et de délire ne s’insinue en eux et n’offusque les yeux de leur pensée. Mais peut-être est-ce aussi que le prêtre authentique est d’office prophète, car c’est moins sa naissance que sa valeur qui l’a fait accéder au culte de Celui qui est véritablement l’Être ; or un prophète n’a rien qu’il ignore, puisqu’il recèle à l’intérieur de lui-même un soleil spirituel et des rayons dépourvus d’ombre, afin d’appréhender avec une netteté parfaite les réalités qui échappent au regard sensible, mais qui sont susceptibles d’être appréhendées par la pensée.
Les mages sont donc ceux qui voient les choses invisibles. Le sens de l'histoire est encore à rapprocher des Paraboles d'Hénoch (Livre d'Hénoch, chap. 37 à 71) qui décrivent un messie préexistant à la création et appelé le Fils de l'Homme, dont les élus sont ceux à qui Dieu le révèle, ce qui fait autant penser à l'étoile invisible des mages (les élus) guidés vers le vrai messie Jésus, qu'au kérygme de Pierre (Matthieu 16, 17–19).
Le massacre des innocents est une redite du massacre des enfants juifs duquel seul Moïse survit. On lit en Exode (1, 22):
Pharaon donna l'ordre suivant à tout son peuple: «Tout mâle nouveau-né, jetez-le dans le fleuve et toute fille laissez-la vivre.»
L'article pourrait s'arrêter ici, mais le massacre des innocents contiennent un problème textuel qui n'a pas vraiment fait l'objet de discussions jusqu'à présent, et c'est la citation prise de Jérémie 31, 14. Celle-ci semble affirmer que des enfants seront perdus (périront), mais les versets suivants précisent bien qu'ils seront retrouvés. La citation complète de Jérémie (31, 14–16) dit:
Ainsi parle le Seigneur: «Une voix retentit dans Rama, une voix plaintive, d'amers sanglots. C'est Rachel qui pleure ses enfants, qui ne veut pas se laisser consoler de ses fils perdus! Or, dit le Seigneur, que ta voix cesse de gémir et tes yeux de pleurer, car il y aura une compensation à tes efforts, dit l'Eternel, ils reviendront du pays de l'ennemi. Oui, il y a de l'espoir pour ton avenir, dit le Seigneur: tes enfants rentreront dans leur domaine.»
L'utilisation de ce verset ne peut avoir que deux raisons: soit, il s'agit de convaincre les Juifs que l'occupation romaine ne sera pas brisée, et donc que les fils perdus de Rachel ne rentreront pas dans leur domaine; soit, que la citation provient d'une source aujourd'hui perdue. Si l'utilisation de sources pour la rédaction des évangiles est à la base de la recherche moderne sur ceux-ci, leur reconstitution tient de la gageure. En effet, les rédacteurs des évangiles ne se sont pas privés de réécrire les textes qu'ils utilisaient et d'effacer ce qui ne leur convenait pas. Le sens de la péricope de Jérémie est que les gens n'ont pas disparu, si on le met en rapport avec massacre et fin du règne d'Hérode, cela pourrait correspondre à l'emprisonnement des notables judéens et de leurs familles dans l'hippodrome de Jéricho. Flavius Josèphe dit qu'Hérode
Il prit le chemin du retour et parvint à Jéricho. Là, vomissant déjà de la bile noire. il lança une sorte de défi à la mort même, en procédant à une exécution sacrilège. Il fit rassembler dans l'hippodrome des citoyens notables de tous les bourgs de la Judée et ordonna de les y mettre sous clef. Puis, appelant auprès de lui sa sœur Salomé et Alexas, mari de la princesse: «Je sais, dit-il, que les Juifs célèbreront ma mort par des réjouissances, mais j'ai un moyen de les faire pleurer et d'obtenir des funérailles magnifiques si vous voulez suivre mes instructions. Ces hommes que j'ai fait emprisonner, dès que j'aurai rendu le dernier soupir, faites-les aussitôt cerner et massacrer par des soldats ; ainsi toute la Judée, toutes les familles, qu'elles le veuillent ou non, pleureront sur moi.» (Guerre des Juifs, 1 659–660; similaire en Antiquités Juives 17, 183–190).
La sœur d'Hérode refusera d'exécuter l'ordre, et libérera tous les notables. Il est clair que les notables redoutaient le pire, une telle citation pourrait provenir d'une divination par l'écriture, ouvrir un rouleau au hasard et lire le passage sur lequel on tombe, et voir en celui-ci une réponse divine sur l'événement sur lequel on s'interroge.
Matthieu pourrait donc avoir rédigé certains passages en combinant une chronique qui mentionnait cet emprisonnement, et le souvenir du massacre des enfants juifs à l'époque de Moïse; il aura conservé la citation de Jérémie, sans se rendre compte que, dans sa forme complète, elle contredisait totalement le massacre qu'il décrit.
La fuite de Joseph, de sa femme et de Jésus en Égypte, peut donc avoir d'autres raisons. En effet, l'emprisonnement des notables judéens a été une conséquence de la révolte de l'aigle d'or. Hérode avait fait installer un aigle d'or sur le fronton du temple, provoquant la colère du grand-prêtre et d'éminents Maîtres vraisemblablement membres du Sanhédrin, mais inconnus du Talmud: Judas, fils de Sariphaios, Matthias, fils de Margalothos. Étaient encore liés à ces événements un membre de la famille du grand-prêtre Mathathias, appelé justement Joseph Elemos, probablement Joseph le fort. Le Talmud connaît aussi un Joseph fils d'Elem qu'il sait avoir été le nassi du sanhédrin de Sepphoris, la capitale de la Galilée. Tous avaient convaincus la jeunesse qu'il fallait jeter à bas cet aigle d'or; les deux maîtres mentionnés seront brûlés vifs, le grand-prêtre Mathathias y échappera de peu, et de Joseph nous ne savons rien.
L'idée d'une naissance messianique est nettement plus invraisemblable; la grande majorité des membres du Sanhédrin qui ne descendaient pas d'Aaron, descendaient en général de David par diverses manière. Or, que l'on sache, Hérode ne les a jamais redoutés; il a par contre poursuivi de sa haine tous les hasmonéens qu'ils soient directs ou indirects.
Avant de terminer, il convient de terminer par une dernière tentative de réponse: pourquoi le 25 décembre pour célébrer la naissance de Jésus. On a souvent dit que noël avait été établie pour concurrencer la fête du sol invictus; malheureusement, l'établissement du 25 décembre pour établir la fête du sol invictus est tardive (milieu du IIIe siècle) et on ne peut exclure que son établissement soit parallèle au noël chrétien. Peut-être faudrait-il plutôt voir dans la fête de noël une fête parallèle à Hanucca qui se déroule dans une période proche de noël ou qui contient la fête de noël comme ce sera le cas cette année. Cette fête célèbre la libération du Temple pas Judas Maccabée et le miracle qui s'y est produit. Il s'agirait alors pour les chrétiens d'un moyen de convaincre les Juifs que le nouveau Temple, c'est Jésus...
Quoi qu'il en soit, les différents passages des évangiles cachent une hostilité certaine à Bar Kôkhbâ et aux différentes révoltes juives anti-romaines. Et l'étoile désigne plus la contemplation de la lumière intérieure qui permet à l'homme de trouver Dieu... Conclusion, la date de naissance de Jésus est inconnue.